Cour de Cassation civile 3e 19 septembre 2019, n° 18-15398, publié au Bulletin
L’obligation de mise en garde due par le banquier au profit de l’emprunteur profane bénéficie à la caution. Mais la Cour de cassation n’a pas entendu l’étendre aux associés d’une société emprunteuse, même lorsqu’ils sont indéfiniment tenus au paiement des dettes sociales, n’étant pas directement co-contractants du banquier lors de l’octroi du prêt.
De source jurisprudentielle, inspiré de l’article L. 311-9 du code de la consommation, le devoir de mise en garde est dû par le banquier à l’emprunteur ou à la caution dits « non avertis », en considération de leurs capacités financières et des risques de l’endettement né de l’octroi du prêt (Civ. 1ère 12 juillet 2005, Bull. 2005, I, n° 327, n° 03-10.921 ; Ch. Mixte, 29 juin 2007, Bull. 2007, Ch. mixte, n° 7 et n° 8, n° 05-21.104 et n° 06-11.673). Manque à son devoir de mise en garde auquel elle était tenue à l’égard d’emprunteurs profanes la banque qui accorde un crédit « en ne vérifiant pas leurs capacités financières et en leur accordant un prêt excessif au regard de leurs facultés contributives » (Civ. 1ère, 12 juillet 2005, Bull. 2005, I, n° 327, n° 03-10.921).
Cette jurisprudence s’inscrit dans le droit fil de la Directive 2008/48 du 23 avril 2008 du Parlement européen et du Conseil, dont le 26ème considérant prévoit que les Etats membres doivent « prendre les mesures appropriées afin de promouvoir les pratiques responsables lors de toutes les phases de la relation de prêt, en tenant compte des caractéristiques particulières de leur marché du crédit. Ces mesures peuvent inclure, par exemple, l’information et l’éducation des consommateurs, y compris des mises en garde sur les risques du défaut de paiement ou du surendettement… ».
Le devoir de mise en garde recouvre aujourd’hui un champ assez large. La caution, qui garantit le remboursement du crédit, en a été reconnue bénéficiaire au même titre que l’emprunteur lui-même, à la condition qu’il s’agisse d’une caution profane. La cour de cassation considère toutefois que le fait que la caution soit dirigeante de la société débitrice principale ne suffit pas à lui attribuer la qualité de caution avertie (Com., 22 mars 2016, n°14-20.216), seul pouvant se voir attribuer cette qualité le dirigeant expérimenté (Com., 18 janvier 2017, n°15-12.723).
L’objet de la mise en garde s’est lui aussi peu à peu précisé, le risque contre lequel il y a lieu à mise en garde étant toujours celui d’une possible incapacité de rembourser à laquelle peuvent être exposés l’emprunteur ou la caution, mais qui doit être apprécié non seulement en considération de leur situation financière et patrimoniale, mais en tenant compte aussi de la solidité de l’opération financée elle-même.
Ainsi, la Cour de cassation juge-t-elle que « la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s’il existe un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur », ce dont la Cour suprême déduit « qu’après avoir retenu que l’opération était vouée à l’échec dès son lancement, les juges en ont justement conclu que la banque était tenue d’une un devoir de mise en garde lors de la souscription de son engagement (par la caution), peu important que celui-ci fût adapté à ses propres capacités financières » (Com. 15 novembre 2017 n°16-16790). Le devoir de mise en garde, sans aller jusqu’à exiger du banquier qu’il se prononce sur l’opportunité de l’opération financée (Com.1er mars 2016, n° 14-22582), l’oblige donc à s’interroger néanmoins sur son contexte et sa viabilité, ce qui doit le conduire, par exemple à « rechercher si la charge de remboursement du prêt, en s’ajoutant aux autres charges, pouvait être supportée par l’exploitation du fonds à l’acquisition duquel le prêt était affecté » (Com. 20 juin 2005, n° 04-14-114).
Ainsi étendu – avec un spectre de vérifications assez large qui incombent au banquier – il n’eût pas été illogique de considérer que le devoir de mise en garde devait s’exercer non seulement au profit de l’emprunteur et de la caution, l’un et l’autre co-contractants de la banque lors de la souscription du crédit, mais aussi de tous les autres codébiteurs solidaires, indistinctement, tenus, comme eux, au remboursement du crédit. La Cour de cassation n’a pas voulu franchir ce pas. Témoin, un arrêt de la 3e chambre civile du 19 septembre 2019 ( n° 18-15398, publié au Bulletin), qui a jugé que « lorsque l’emprunteur est une société civile immobilière, seule celle-ci est créancière de l’obligation de mise en garde et non ses associés, même si ceux-ci sont tenus indéfiniment des dettes sociales, et que le caractère averti de cet emprunteur s’apprécie en la seule personne de son représentant légal et non en celle de ses associés ».
La solution pouvait se discuter. La cour de cassation considère en effet que les associés d’une société civile tenus indéfiniment du passif social doivent s’acquitter des dettes de la société exactement aux mêmes conditions que celles qui s’imposent à celle-ci (Com. 6 décembre 2007, n° 15-16993 ; Civ. 1ère 16 septembre 2010, n° 09-68559). Sans doute, la dette des associés est-elle juridiquement distincte de celle de la société, ce dont la Cour de cassation déduit « que le titre délivré à l’encontre d’une société n’emporte pas le droit de saisir les biens des associés fussent-ils tenus indéfiniment et solidairement des dettes sociales, à défaut de titre exécutoire pris contre eux » (Com. 12 décembre 2006, n004-14241). Mais la solution est la même à l’égard de la caution.
La détermination du champ des bénéficiaires de la mise en garde en garde aurait pu, pourtant, dépendre uniquement de l’identification d’une situation de besoin d’informations, que peuvent éprouver aussi ceux qui seront débiteur, à compter du jour de l’octroi du crédit, de son remboursement au profit de la banque. De ce point de vue l’absence de devoir de mise en garde au profit des associés tenus indéfiniment au passif social est quelque peu regrettable, alors qu’ils auraient toutes les raisons d’exiger d’être eux aussi protégés contre les risques de non remboursement d’un crédit que le gérant, qui agit souvent seul, peut conclure d’une manière inconsidérée et dont ils devront répondre. Les engagements des associés des sociétés civiles, et particulièrement des SCI sont très rigoureux, la jurisprudence, en particulier, ne leur reconnait pas le droit, lorsqu’ils sont poursuivis en paiement, de remettre en cause le contrat passé par la SCI sur la base duquel ils sont poursuivis (Civ.3e, 28 mars 2001, n° 99-17395).
En contrepartie, il aurait pu être opportun qu’ils bénéficient d’informations sur les risques objectifs auxquels les emprunts souscrits par la gérance peuvent exposer la société, assorties, le cas échéant, d’une analyse destinée à vérifier l’adaptation de ces crédits à leurs propres facultés contributives. Pour l’heure, la jurisprudence s’en tient cependant à une conception plus restrictive du devoir de mise en garde, qu’elle entend réserver aux seuls co-contractant de la banque et non aux tiers.