Cour de cassation, Première chambre civile, 11 décembre 2019, n° 18-24381, Publié au Bulletin
Les obligations de conseil à la charge des professionnels gagnent sans cesse du terrain au fil des procès …La Cour de cassation juge depuis plus d’une décennie que l’agent immobilier est tenu d’un devoir de conseil à l’égard de ses clients propriétaires d’un immeuble qu’ils entendent proposer à la location : il doit s’assurer de la solvabilité du locataire qu’il leur présente et les informer à ce sujet (Cass. civ. 1, 4 mai 2012, 10-28.313, Inédit). Professionnel de l’immobilier, l’agent immobilier est également débiteur d’une obligation d’information et de conseil à propos des caractéristiques du bien qu’il a reçu mandat de vendre, ou encore à propos des formalités juridiques que nécessite d’accomplir, pour être mené à bien, le projet immobilier ou locatif dont il a reçu mission de rédiger l’acte, obligation -souligne la cour de cassation- « dont il n’est pas déchargé par les compétences personnelles des parties ou par le fait qu’elles soient assistées d’un conseil » (cf. pour l’omission de signaler la nécessité d’un permis : Cass. civ.1ère, 4 mai 2012, n° 11-16328). L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 décembre 2019 (n° 18-24381) s’inspire de ces précédents, mais semble aller plus loin encore puisqu’il a été rendu dans une affaire où l’agent immobilier était simple négociateur d’un bien mis à la vente et chargé de trouver un acquéreur à ses clients. Ceux-ci avaient fixé la mise à prix à 160.000 euros, et convenu d’une rémunération de 10.000 euros au profit de l’agent. Une promesse fut donc signée par son intermédiaire, avec un acquéreur de 25 ans, cariste magasinier de profession, qui avait déclaré qu’il renonçait à recourir à un emprunt. Le risque qu’il ne puisse payer le prix était patent. Et de fait, cet acquéreur n’a pas été en mesure d’honorer la promesse, ce qui a conduit les vendeurs à assigner l’agent immobilier en responsabilité pour défaut de conseil.
La Cour d’appel avait écarté cette prétention, pour des motifs sommes toutes assez convaincants, puisqu’elle a fait observer que la promesse de vente permettait aux vendeurs de constater d’eux-mêmes que l’acquéreur avait de faibles revenus et qu’il entendait ne pas recourir à l’emprunt, et qu’ils « demeuraient libres de ne pas contracter s’ils estimaient que les garanties offertes n’étaient pas suffisantes ». L’arrêt est cassé : l’agent immobilier aurait dû « justifier avoir conseillé aux vendeurs de prendre des garanties ou les avoir mis en garde contre le risque d’insolvabilité de l’acquéreur qu’il leur avait présenté »
Si la solution n’est pas nouvelle (déjà en ce sens, Cass. 1ère civ., 19 janv. 1988, nº86-11.829 : « le négociateur d’une cession de fonds de commerce doit, en principe, s’assurer de la solvabilité des acquéreurs ») elle est ici très sévère : quelles « garanties » est-il possible de demander à un acquéreur qui n’a ni surface financière, ni l’appui d’une banque ?
Et est-il vraiment nécessaire, dans ce cas, que l’agent immobilier fasse signer à son client une lettre attestant que celui-ci a été mis en garde contre un risque d’insolvabilité de l’acquéreur qui n’a pu de toute façon lui échapper, et qu’il a nécessairement accepté de prendre en donnant instruction à son agent de préparer la promesse de vente ? Il n’est pas sûr que le devoir de mise en garde conserve un objet dans ce cas, et que son accomplissement ne relève pas du formalisme inutile, venant surtout perturber les règles qui régissent la négociation et la conclusion de toute vente, qu’aucun vendeur n’est jamais tenu de conclure…