Conseil Constitutionnel, 6 décembre 2019, Décision n°2019-817 QPC
Beaucoup connaissent l’existence d’une interdiction fort ancienne, puisque datant de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, dont article 38 dispose : « Dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit ». Les journalistes et photographes se sont accommodés de la règle pendant des décennies, ce qui, du même coup, a favorisé l’éclosion de « dessinateurs d’audience » dont les croquis, à l’image de ceux de quelques un de nos illustrateurs célèbres (Cabu, Riss,) n’ont jamais rien eu à envier aux dessins d’un Daumier.
Il se trouve que grâce à l’institution, par une loi de 2010, de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), il est désormais possible de demander au Conseil constitutionnel, au cours d’un procès, de se prononcer sur la conformité à la constitution d’une disposition législative en vigueur, même si sa promulgation est ancienne, dès lors que l’appréciation de sa constitutionnalité n’a encore jamais été soumise au Conseil.
L’occasion n’allait pas manquer de voir des plaideurs, constamment refoulés des salles d’audience avec leurs camera et appareils, s’emparer de cette nouvelle voie de droit pour soumettre au Conseil constitutionnel l’appréciation de la conformité de l’article 38 de la loi précitée aux principes constitutionnels de liberté d’expression et de liberté de communication, principes fortement protégés puisque trouvant directement leur source dans l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui constitue l’un des socles de notre constitution. Au-delà des considérations juridiques, l’évolution des techniques, comme la transformation de nos modèles sociétaux -qui voient chaque jours les Twitter, et autres Facebook imposer leur logique du « tout dire et tout montrer » à des adeptes de plus en plus nombreux – allaient inévitablement conduire à remettre sur la sellette la question de la prise d’images lors de l’audience d’un procès, au nom de la liberté d’expression et de communication.
Bien qu’étant une revendication régulière des journalistes de la presse judiciaire, cette liberté n’a effectivement trouvé jusqu’ici que de très rares ilots pour s’exprimer. Les quelques dérogations concernent essentiellement des procès jugés à « caractère historique », où la présence de caméras n’est admise que pour faire œuvre de mémoire à l’intention des générations futures et éviter que des faits particulièrement graves ou des crimes contre l’humanité ne s’effacent sous couvert du « droit à l’oubli » (ex. procès Klaus Barbie).
Condamné en 2019 à une peine d’amende pour méconnaissance de l’interdiction de prise de photographies -en l’occurrence avec un simple téléphone portable- lors d’une audience, un individu, qu’est venu soutenir en cours de procès l’Association de la Presse Judiciaire, a demandé que soit transmise au Conseil Constitutionnel une QPC portant sur la conformité à la constitution de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881. La juridiction à laquelle la demande de renvoi avait été faite a trouvé la question suffisamment sérieuse à ses yeux pour être digne d’être transmise au Conseil Constitutionnel.
La réponse du Conseil Constitutionnel était assez attendue. Celui-ci a écarté la demande d’inconstitutionnalité et d’abrogation de l’article 38 en justifiant la nécessité de ce texte par des motifs qui, pour ne pas être nouveaux, n’en méritaient pas moins d’être rappelés de façon solennelle : « En instaurant cette interdiction, le législateur a entendu garantir la sérénité des débats vis-à-vis des risques de perturbations liés à l’utilisation des appareils. Il a également entendu prévenir les atteintes que la diffusion des images ou des enregistrements issus des audiences pourrait porter au droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d’innocence de la personne poursuivie ».
Ce que l’on retiendra aussi, c’est l’observation finale des 9 sages selon laquelle ce qui était justifiée en 1881 l’est, à leurs yeux, davantage encore aujourd’hui. En effet, note le Conseil, « l’évolution des moyens de communication est susceptible de conférer à cette diffusion un retentissement important qui amplifie le risque qu’il soit porté atteinte aux intérêts précités ». Lorsque l’on constate, éclairés par des affaires récentes, les dégâts que peuvent effectivement causer les images circulant sur les réseaux sociaux sur une catégorie de la population particulièrement exposés ces temps-ci aux fourches de la justice -l’on veut parler de nos hommes politiques- l’on mesure à quel point la remarque sonne juste…