Un arrêt de la troisième chambre civile du 11 mai 2022 rappelle à quelles conditions peut être réparé un préjudice futur. Dans cette affaire, un voisin débiteur d’une servitude de passage y avait encombré l’accès en y entreposant du bois, et en en empêchant l’usage. Cette obstruction avait cessé mais le titulaire de la servitude demandait que soient prises des mesures pour empêcher la réitération du dommage sous forme de condamnation à des dommages intérêts en cas de nouvelle infraction. L’arrêt ayant accueilli la demande est cassé au visa de l’article 1240 du code civil, anciennement l’article 1382 :
« Vu l’article 1240 du code civil : Il résulte de ce texte que le préjudice futur est réparable lorsqu’il est la prolongation certaine et directe d’un état de choses actuel. Pour condamner M. [S] à payer à M. [M] une somme de 1 000 euros pour toute nouvelle infraction constatée, l’arrêt relève que les opérations de débardage et de stockage réalisées par le demandeur sur les parcelles de M. [M] ont causé des dégradations, dont il n’est pas prouvé qu’elles ont été réparées. En statuant ainsi, alors qu’elle n’avait pas retenu que la réitération d’entraves au passage était certaine, la cour d’appel, qui a indemnisé un préjudice hypothétique, a violé le texte susvisé ». (Cour de cassation, Chambre civile 3, 11 mai 2022, 21-14.589).
Le principe posé n’est pas nouveau, la Cour de cassation ayant toujours censuré les décisions accordant réparation d’un préjudice hypothétique :
« Mais attendu qu’interprétant souverainement le rapport d’expertise et relevant l’absence de toute preuve des nuisances alléguées, ce qui rendait le préjudice hypothétique, la cour d’appel a pu débouter Mme X… de ses demandes ; (Cass. Civ. 28 juillet 2010 n° 09-69.432).
« Attendu qu’ayant souverainement retenu que le préjudice futur dont l’UGECAM demandait la réparation ne pouvait être tenu comme certain et relevé que la demanderesse n’apportait pas la preuve que ses activités n’étaient pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour d’appel en a nécessairement déduit que l’indemnisation de l’UGECAM devait être limitée au coût hors taxe d’un ravalement avec entoilage suffisant pour mettre fin de manière efficace et pérenne aux désordres et pour en empêcher le renouvellement » (Cour de cassation, Chambre civile 3, 16 juin 2016, 15-17.547).
Toutes ces décisions rappellent ce que sont les pouvoirs du juge en présence d’un risque de réitération d’un dommage qui n’est pas, en l’état, certain ou avéré.
Le juge peut, d’abord, imposer des mesures matérielles propres à empêcher le renouvellement d’un dommage, c’est-à-dire assurer sa cessation.
Le juge peut aussi condamner l’auteur de la faute au paiement d’une somme d’argent destiné à empêcher le renouvellement d’un dommage imminent. L’article 809 du code de procédure civile donne ce pouvoir au juge des référés et le juge du fond dispose à l’évidence d’un même pouvoir.
En revanche, en l’absence de risque avéré de réitération du dommage, le juge n’a pas le pouvoir de condamner en l’état l’auteur de la faute au titre d’un préjudice futur dont il n’est pas certain qu’il pourra se réaliser, même s’il s’abstient de toute allocation immédiate d’une somme d’argent au titre de la réparation de ce préjudice futur.
La solution ne va pas de soi. Dans l’arrêt commenté du 22 mai 2022, le juge s’était contenté de fixer le montant des dommages intérêts en cas de nouvelle infraction, ce qui, à nos yeux, entrait dans ses pouvoirs. La Cour de cassation n’est pas du même avis et n’autorise la sanction, sous forme de condamnation au paiement d’une somme d’argent, d’un préjudice futur, que s’il y a certitude que le dommage se reproduise, limitant en quelque sorte les pouvoirs du juge du fond à ceux que sont celui d’un juge des référés qui ne peut sanctionner une atteinte future aux droits d’autrui qu’à la condition de caractériser l’imminence de sa survenance.