Cour de cassation, Civile 2ème, 6 septembre 2018, n°17-19657, Publié au Bulletin
L’article 954 du code de procédure civile, issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, a considérablement renforcé le formalisme auquel doivent désormais obéir les conclusions d’appel. Répondant à un vœu depuis longtemps formulé par les Présidents des Cours d’appel, ce texte dispose que les conclusions :
« doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée (…). Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. (…). La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion ».
Le texte réclame quelques éclaircissements : qu’est-ce qu’une prétention, un moyen, une argumentation ?Un arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2018 (n°17-19657) contribue à une meilleure compréhension de ces notions, tout en montrant que la Cour Suprême ne semble pas prête à faire preuve d’une particulière bienveillance à l’égard de certains plaideurs encore ancrés dans une époque où l’on privilégiait le débat oral à l’écrit et ayant quelques difficultés à s’adapter aux exigences du texte nouveau…
Dans cette affaire, d’anciens adhérents d’une association avaient répondu à une convocation au conseil d’administration et pris part aux votes alors qu’ils ne pouvaient ignorer qu’ils n’avaient plus qualité pour y siéger, ce qui devait conduire à l’annulation de plusieurs délibérations du conseil. Estimant que les actions en nullité en résultant lui avait causé un préjudice, l’association a agi à leur encontre en dommages-intérêts et obtenu gain de cause en appel. Sur pourvoi, les anciens associés soutenaient que la cour d’appel n’avait pas pris en considération leurs conclusions faisant valoir que leur convocation à l’assemblée générale « visait à remettre l’association en conformité avec ses statuts et à faire face à l’inertie totale de son président et qu’ainsi la démarche de MM. X…, Y…, Z… et Mme B… qui s’inscrivait dans la volonté de donner un nouvel élan à l’association était justifiée et exclusive de tout comportement fautif ».
S’agissait-il d’un « moyen » ? -auquel cas la Cour d’appel avait l’obligation d’y répondre (Cass. Com, 13 septembre 2017, n° 15-26019). S’agissait-il d’un simple « argument », que les juges peuvent ne pas prendre en considération dans leur décision ?
La cour de cassation répond « qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile les conclusions d’appel doivent formuler expressément les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée », et que « l’argumentation figurant dans les conclusions d’appel (des anciens associés) et invoquée à l’appui du moyen, à laquelle la cour d’appel aurait omis de répondre, n’a pas été expressément formulée à l’appui de leur prétention au rejet de la demande de dommages-intérêts dirigée à leur encontre ».
Traduction : il eût fallu que l’argumentation présentée par les anciens associés ne constitue pas un élément isolé de discussion figurant dans leurs écritures, mais qu’elle vienne à l’appui d’un « moyen expressément formulé », lui-même présenté au soutien d’une prétention. Ce qui appelle deux observations.
La première est que les avocats doivent se familiariser avec la notion de « moyen » qui peut être défini comme étant « l’explicitation des motifs de fait qui, par un raisonnement juridique, conduisent à des conséquences de droit ». Selon l’article 954 du code de procédure civile, ces moyens doivent être « expressément formulés » et venir « à l’appui d’une prétention ».
Il n’y a pas d’autre façon d’y parvenir que de consacrer formellement un intitulé distinct pour chaque moyen, sous lequel figureront les faits pertinents et le raisonnement juridique qu’ils appellent -quoique dans un ordre généralement inversé, c’est le fameux : En droit… En l’espèce…- moyen venant lui-même au soutien d’une prétention – le constat d’une irrecevabilité ou d’une nullité, une demande de condamnation, de rejet des demandes adverses… – qu’il conviendra de formuler dans le corps des conclusions, sans oublier de la reprendre ensuite dans le dispositif.
La seconde observation est qu’il convient de bannir les conclusions trop « littéraires » où les données de fait sont énoncées sans ordre véritable, au gré de l’inspiration du rédacteur, et où la règle de droit est évoquée sans que son applicabilité aux faits de l’espèce ait été démontrée et explicitée : elles ne renferment aucun « moyen » et risquent d’être délaissées par le juge puisque l’article 954 ne lui fait désormais aucune obligation d’y répondre.