(Première chambre civile de la Cour de cassation
19 mai 2021, pourvoi n° 19-25749, Publié au Bulletin).
Un arrêt récent de la première chambre civile de la Cour de cassation du 19 mai 2021 (19-25.749, publié au Bulletin) parachève et tire les conséquences, au plan civil, de l’évolution de la jurisprudence nationale marquée par une tendance à reconnaître désormais une entière prééminence, en ce qui concerne les conditions d’exercice d’un art ou d’une pratique médicale, aux règles fixés par le Traité de Rome (TFUE).
Le contexte est connu. Le Conseil national de l’Ordre des médecins n’a jamais été prompt à ouvrir à d’autres qu’à ses membres l’exercice de pratiques dont la réglementation nationale leur accorde l’exclusivité. Longtemps, la jurisprudence a ainsi jugé -puisque telle était l’activité en cause dans la présente affaire- que relevait de l’exercice illégal de la médecine, et devait donc être pénalement sanctionné, l’exercice par des thérapeutes non titulaires d’un diplôme de médecine de l’épilation par lumière pulsée (laser), en se fondant sur l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962, modifié par l’arrêté du 13 avril 2007, qui prévoit que « les épilations autres qu’à la cire ou à la pince, doivent être effectuées par un docteur en médecine » à l’exclusion de nulle autre.
Quelle justification au maintien d’une telle restriction ? Aucune, semble-t-il, sinon la préoccupation de l’Ordre des médecins de maintenir dans son pré-carré l’exercice de soins purement esthétiques certes sans risque mais assurant à ses membres des gains juteux lorsque l’on sait qu’un forfait complet (jambe/cuisse/maillot) est proposé entre 400 et 500 euros…
Pas à pas, le droit européen est venu mettre un terme à ces situations de monopole dont beaucoup ont perdu avec le temps leur justification. La CJUE a ainsi jugé dans un arrêt du 19 mai 2019, s’agissant précisément de la pratique de l’épilation au laser, que le principe de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services ne pouvaient faire l’objet de restrictions « qu’à la condition qu’elles soient justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, que si ces mesures s’appliquent de manière non discriminatoire, sont propres à garantir de façon cohérente, la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ».
Et estimant précisément, d’une part, que les appareils utilisés pour la pratique de l’épilation au laser pouvaient être acquis et utilisés par de simples particuliers et que leur usage était autorisé aux esthéticiens pour les soins de photo-rajeunissement présentant des risques identiques à ceux concernant l’épilation, et d’autre part, que l’épilation à la lumière pulsée n’était susceptible de n’entrainer que des effets indésirables très légers selon un rapport et l’avis de l’Agence nationale de la santé sanitaire (ANSES) d’octobre et décembre 2016, la cour du Luxembourg ( CJUE,19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes, C-171/07 et C-172/07), suivi par le Conseil d’État (CE, 8 novembre 2019 n° 424954), a jugé que les dispositions d’un droit national réservant la pratique de cette technique d’épilation aux seuls médecins diplômés de la faculté de médecine était contraire au Traité de Rome.
La chambre criminelle de la Cour de cassation en a tiré à son tour les conséquences en dépénalisant par la suite cette pratique (Crim., 29 janvier 2019, n° 16-85.746), et l’arrêt présentement commenté en tire, à son tour, toutes les conséquences mais au plan civil cette fois. Il juge en effet que les contrats en cours -il s’agissait de contrat de franchise- ayant pour objet l’exercice de cette activité ne sont plus exposés à aucun risque de nullité, et ce quand bien même ils auraient été conclus à une époque où le droit national interdisait encore cette pratique comme constituant un exercice illégale de la médecine.
L’arrêt appel deux observations.
La première et qu’il illustre une fois de plus la nécessité d’un vaste « dépoussiérage » de notre code de déontologie médicale interdisant encore de nombreuses pratiques, actes ou soins dont l’innocuité a pourtant été démontrée par des thérapeutes en ayant éprouvé la valeur et les bienfaits scientifiques, dans le sillage de la résolution prise le 11 mai 1999 par la Commission à propos des « médecines alternatives » et « thérapies alternatives et complémentaires ». Cette résolution, rappelons-le, se donnait pour objectif d’encourager la reconnaissance officielle de ces médecines alternatives dans les facultés de médecine et leur pratique dans les hôpitaux tout en ajoutant que, « la médecine alternative devrait pouvoir être pratiquée également par tout praticien de médecine non conventionnelle correctement formé. Des normes similaires, y inclus des règles d’éthique, devraient s’appliquer à la fois aux médecins et aux praticiens de médecine non conventionnelle ».
Les décisions ci-dessus évoquées, dans un registre un peu similaire, semblent suivre cette voie.
La deuxième observation qu’appelle l’arrêt commenté est qu’il fait une application remarquable -bien que n’étant pas inédite- du principe nouveau selon lequel « nul n’a le droit au maintien d’une jurisprudence figée », ce qui lui permet de valider tous les contrats en cours même conclus à une époque où l’illicéité de l’activité en cause aurait dû logiquement rejaillir sur validité du contrat lui-même, et conduire à son anéantissement, et à rebours du principe selon lequel les conditions de validité d’un contrat s’apprécient en principe en se plaçant à la date à laquelle il a été conclu (Cass. 2e civ., 12 févr. 2015, n° 14-12.338).