La Cour de cassation au secours…d’Airbnb ? Cour de Cassation, civile. 3ème, 28 novembre 2019, n° 18-23769 Publié au Bulletin
Ne constitue pas un changement d’usage nécessitant une autorisation administrative préalable la mise à la location au profit d’une clientèle touristique de passage d’un bien dont il n’est pas établi par la mairie qu’il était affecté à l’habitation avant le 1er janvier 1970, peu important qu’il ait reçu cette affectation après.
L’on sait que les réglementations municipales « anti-Airbnb », particulièrement dans les grandes villes, se sont multipliées ces dernières années pour tenter d’enrayer la pénurie de logements et la hausse de loyers. La mairie de Paris, sous l’impulsion d’un maire qui mène un combat ouvert contre les différentes plates-forme facilitant la mise en location des biens d’habitation à une clientèle touristique et de passage ( Airbnb, Abritel etc.) est particulièrement vigilante à ce sujet et prompte à poursuivre les propriétaires qui ne s’alignent pas sur la législation applicable. Quelle est-elle ? L’interdiction, d’une part, de louer plus de 120 jours par an sa résidence principale à une clientèle de tourisme (article L 324-1-1 du code du tourisme) et l’interdiction, d’autre part, dans les communes d’Ile de France de plus de 200 000 habitants, « de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », ce qui constitue un changement d’usage qui requiert une autorisation préalable (article L 631-7 du code de la construction et de l’habitation), sous peine d’amende pouvant atteindre 50 000 euros infligée par le juge civil, saisi sur poursuite de la commune (article 652-1). La Cour de cassation, dans un arrêt de la 3è chambre civile du 28 novembre 2019 (n° 18-23769), était confrontée à la problématique suivante. L’article L 631-7 prévoit qu’un local est « réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve ». Mais, quid des locaux qui ont été affectés à l’habitation depuis une date postérieure au 1er janvier 1970, ce qui, dans les faits, constitue une grande majorité d’entre eux ?
Doit-on considérer que le texte n’institue qu’une présomption d’affectation à usage d’habitation de tous les biens qui répondaient à cet usage à cette date, ce qui n’interdirait pas de considérer que sont visés aussi les locaux qui ont pu recevoir cette affectation après le 1er janvier 1970, et de soumettre ainsi à autorisation tout changement de celle-ci ? Telle était la position de la mairie de Paris dans l’affaire soumise à la Cour de cassation où elle était opposée à un propriétaire auquel elle avait infligé une amende pour s’être livré à la « location répétée à une clientèle de passage » de son bien, sans avoir sollicité une autorisation préalable de changement d’affectation, lequel bien, selon ce qu’affirmait la mairie, aurait été affecté à l’habitation depuis 2017 au moins.
Ne pouvait-on pas considérer à l’inverse que le texte n’institue pas une simple règle de preuve, mais qu’il dispense d’autorisation –en les plaçant donc définitivement à l’abri des poursuites- tous les propriétaires dont il n’est pas établi que le bien était affecté à l’habitation au 1er janvier 1970, quand bien même aurait-il reçu cette affectation après ?
C’est à cette dernière interprétation que s’est rangée la Cour de cassation en approuvant la décision ayant relaxé le propriétaire poursuivi, en relevant que dès l’instant où la mairie de Paris n’avait pas pu prouver que le bien était affecté à un usage d’habitation au 1er janvier 1970 « la preuve d’un usage d’habitation à la date du 23 janvier 2017 était inopérante ».
L’arrêt appelle deux remarques.
La première est que le texte ne commandait pas nécessairement la solution retenue par la Cour Suprême. Si celui-ci prévoit que sont « réputés » être à usage d’habitation les locaux qui étaient affectés à cet usage au 1er janvier 1970, on aurait pu considérer que l’utilisation de ce terme -en l’absence de toute indication dans le texte permettant d’en dégager le sens avec certitude- n’instituait qu’une présomption destinée à faciliter la preuve de l’affectation à l’habitation au 1er janvier 1970, mais n’interdisait pas à la commune d’établir, à charge d’en rapporter la preuve, que le bien avait reçu une telle affectation postérieurement.
La deuxième observation est que l’arrêt pourra ne pas satisfaire les tenant d’une ligne « intransigeante » dans l’interprétation des textes -nouveaux mais aussi plus anciens- pouvant être mobilisés pour contribuer in fine, par la mise en place de dispositifs réglementaires prohibitifs, à débloquer l’état du marché locatif dans les grandes améliorations. L’arrêt que vient de rendre la Cour de cassation oblige la commune à rapporter la preuve que le bien répondait au 1er janvier 1970 à un usage d’habitation. Preuve évidemment difficile à rapporter…50 après ! Même si le « fichier de recensement de 1970 » est toujours consultable en préfecture, il contient de nombreuses erreurs et incertitudes. Le paiement de la taxe d’habitation par le propriétaire poursuivi pourra certes constituer un élément supplémentaire, mais à la condition que les documents y afférents aient été conservés. Bref, pour l’autorité municipale, la tâche est rude… Ceux qui –de plus en plus nombreux- prônent en revanche pour un retour au principe du libre usage de la propriété, il est vrai quelque peu malmené par les textes récents, particulièrement dans les grandes villes (loi Elan, loi Alur etc.) seront satisfaits.