Passée la période d’euphorie et celle des promesses de gains à attendre du développement de l’énergie solaire, l’on a vu éclore moultes officines profitant d’un effet d’aubaine pour proposer à des clients aux faibles ressources un moyen présenté comme étant une source miraculeuse de revenus n’impliquant aucun investissement. Le procédé consiste à revendre à EDF de l’électricité produite par l’acquéreur à partir d’une centrale électrique installée chez lui, constituée de panneaux photovoltaïques à faible impact environnemental et dont la mise en œuvre est censé être entièrement financée par le recours à l’emprunt, les échéances mensuelles étant couvertes par les revenus provenant de la revente de l’électricité à EDF
Beaucoup d’organismes bancaires ont été peu regardant sur les conditions dans lesquelles de telles opérations se sont réalisées. Dans de très nombreux cas, après avoir fait signer un contrat d’achat et d’installation de panneaux- le plus souvent prévus à même le toit de l’habitation du souscripteur- et reçu directement de la banque, sur la base d’une simple « attestation d’achèvement » des travaux, les fonds correspondant au prêt destinés au financement de ceux-ci, les entreprises ont pris la poudre d’escampette en laissant le chantier inachevé. Dans certains cas, les panneaux n’ont pas même été livrés.
La Cour de cassation a été relativement réactive pour stopper le développement de telles arnaques. Ne pouvant cependant retenir la responsabilité de l’entreprise à l’origine de ces fraudes -la plupart disparaissant ou tombant en liquidation judiciaire une fois les contrats signés et les fonds perçus pour renaître sous une autre forme- c’est sur la banque que la Cour de cassation a décidé de faire peser des obligations de contrôle toujours plus accrues, l’objectif étant in fine de les contraindre à ne traiter qu’avec des prestataires fiables et sérieux.
Selon la Cour de cassation, la Banque qui finance l’opération n’est pas seulement tenue de vérifier la régularité formelle des conventions passées entre l’entrepreneur et l’acquéreur des panneaux. Elle est tenue, avant de libérer les fonds, d’un contrôle général de la réalité même de l’opération et du consentement effectif des emprunteurs :
« 5. Après avoir énoncé, à bon droit, qu’au regard du droit commercial comme du droit civil, la banque ne pouvait pas libérer les fonds empruntés sans s’assurer qu’un contrat de vente avait été conclu auprès de la société EDF au prix convenu, s’agissant d’une condition du consentement donné par M. et Mme X à la conclusion du contrat principal, et constaté que la banque n’avait pas procédé à cette vérification, la cour d’appel n’a pu qu’en déduire qu’elle avait commis une faute engageant sa responsabilité » (Cass. com., 21 juin 2017, n° 15-11.154).
S’impose à l’établissement de crédit un contrôle sur pièce consistant à vérifier par elle-même, dans le détail, la régularité formelle des contrats, tous soumis aux exigences strictes du code de la consommation :
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu, pour annuler le contrat de vente, que le bon de commande comportait de nombreuses irrégularités, tenant à l’absence de mention des modalités d’exécution du contrat, à l’imprécision des caractéristiques des biens vendus, à la non-indication de façon apparente des dispositions légales et à l’irrégularité du bordereau de rétractation, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les textes susvisés » (Cass. 1re civ., 26 septembre 2018, n° 17-18.083)
Bien plus, c’est à la banque elle-même, pour la dissuader de prendre pour partenaire des entreprises aux pratiques douteuses, de vérifier elle-même avant de libérer les fonds empruntés directement entre les mains de l’entrepreneur, que l’installation est entièrement achevée et produit de l’électricité. Une simple attestation standard -que les acquéreurs signent dans de nombreux cas de façon anticipée le jour même de la visite du commercial avec une liasse de papiers- est aujourd’hui regardé comme étant un document incomplet :
Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si cette attestation suffisait à permettre au prêteur de s’assurer de l’exécution complète du contrat principal, comprenant, comme il était soutenu, non seulement la fourniture des panneaux photovoltaïques, mais également leurs pose et raccordement dans le respect de la réglementation en vigueur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » (Cass. com., 6 juin 2018, n° 17-10.399).
« Attendu que, pour condamner l’emprunteur à restituer à la banque le capital emprunté, déduction faite des échéances déjà remboursées, l’arrêt relève que le certificat de livraison comporte une mention selon laquelle l’emprunteur atteste que le bien ou la prestation de service a été livré le 25 novembre 2013 et accepte le déblocage des fonds au profit du vendeur, que la démarche à effectuer auprès d’ERDF, relevée par le premier juge, n’est pas imposée par le contrat et que l’absence de raccordement au réseau ERDF ainsi que le défaut d’obtention du conseil sont des circonstances étrangères au prêteur, dont la seule obligation légale était de débloquer les fonds au vu du certificat de livraison ;Qu’en statuant ainsi, alors que commet une faute le prêteur qui délivre les fonds au vendeur sans s’assurer de l’exécution complète du contrat principal, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; (Cass. 1re civ., 9 janv. 2019, n° 17-27.955).
Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que pour dire que la société Cofidis n’avait pas commis de faute dans la mise à disposition des fonds et condamner Aimé Y… à lui payer la somme principale restant due, l’arrêt retient que les fonds ont été débloqués postérieurement à la signature de l’attestation de livraison-demande de financement, rédigée et signée par Aimé Y…, certifiant que l’installation avait été livrée et complètement exécutée ;
Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si cette attestation suffisait à permettre au prêteur de s’assurer de l’exécution complète du contrat principal, comprenant, comme il était soutenu, non seulement la fourniture des panneaux photovoltaïques, mais également leurs pose et raccordement dans le respect de la réglementation en vigueur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » (Cass. com., 6 juin 2018, n° 17-10.399).
Au contrôle bancaire sur pièces, c’est donc pratiquement un contrôle sur place ou « sur site » que l’on impose à la banque d’effectuer, en l’obligeant à se livrer, relativement à des opérations qui peuvent être très techniques et assez lourdes à mettre en œuvre.
Si la banquier ne satisfait pas à ces obligations, les fonds versés à l’entreprise, représentatifs de l’emprunt souscrit par l’acquéreur des panneaux, ne peuvent donner lieu à remboursement à la charge de ces derniers, l’inexécution par la banque de ses obligations le libérant de toute obligation à reversement, la banque devant en faire son affaire auprès de l’entreprise défaillante, à supposer qu’elle soit solvable bien sûr (Cass. 1re civ., 5 janv. 2022, n° 19-17.713).
Il s’agit à l’évidence d’un principe prétorien, que la Cour de cassation fonde sur une obligation contractuelle du banquier de vérifier la régularité d’un contrat d’entreprise et de service auquel elle n’est pourtant pas partie. Le contrat de prêt n’est pas nul, mais la faute de la banque la « prive de son droit à restitution » :
« Vu les articles L. 311-31 et L. 311-32 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ;
Attendu que le prêteur qui, en exécution d’un contrat de crédit affecté, libère les fonds prêtés sans vérifier la régularité du contrat principal souscrit à l’occasion d’un démarchage au domicile de l’emprunteur, commet une faute de nature à le priver, en cas d’annulation du contrat de crédit consécutive à celle du contrat de vente, de sa créance de restitution ;
Attendu que, pour condamner les emprunteurs à payer à la banque la somme de 21 500 euros, l’arrêt retient qu’en s’abstenant de vérifier la régularité du bon de commande signé à l’occasion d’un démarchage effectué au domicile des emprunteurs, la banque n’a pas commis de faute exclusive de son droit au remboursement du capital prêté ;
Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cass. 1re civ., 9 mai 2019, n° 18-11.751).
Le crédit affecté à une vente nulle ou non correctement inexécutée prive ainsi le banquier de son droit à restitution (Cass. 1re civ., 8 janv. 2020, n° 18-21.989.). On peut aussi voir dans ce mécanisme l’illustration du principe de l’exception d’inexécution, puisque la Cour de cassation considère qu’une exécution partielle du contrat d’installation des panneaux libère pour le tout les emprunteurs de leur obligation à remboursement :
Attendu que, pour condamner solidairement les emprunteurs à restituer une partie du capital prêté à la suite de l’annulation du contrat de crédit, l’arrêt retient que le vendeur a exécuté la prestation convenue, à l’exception de la mise en service de l’installation ;qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le contrat, dont les stipulations indivisibles prévoyaient le raccordement au réseau, n’avait pas été totalement exécuté, de sorte que les obligations des emprunteurs n’avaient pu prendre effet, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 1re civ., 23 janv. 2019, n° 17-21.055).
Gageons que cette jurisprudence atteigne rapidement son objectif : éradiquer définitivement du marché des entreprises sans scrupule agissant sous le couvert de sociétés de pure façade, en obligeant les banques à ne conclure qu’avec des prestataires de services disposant de l’expérience et la fiabilité requise qui soient rompues aux exigences formelles des règles du code de la consommation auxquels ce type de contrat est soumis, sauf au banquier à faire lui-même les conséquences de l’inexécution du contrat.